Mots-clés : prostitution ; écriture de soi ; sociologie de la littérature ; genre ; sexualité
Dès lors que l'on songe à des ouvrages écrits par des travailleur.se.s du sexe, plusieurs questions surgissent : qui écrit, qui lit et qui relaie ces ouvrages et pour quelles raisons ? Comment arrivent-ils à être publiés ? Qu'est-ce qu'ils nous enseignent en matière de genre et de sexualité ? Dès lors que l'on se penche sur ces ouvrages en tant que chercheur.e, deux situations discursives deviennent patentes : celle de la pluralité des discours de différent.e.s auteur.e.s (en fonction de divers paramètres et spécificités) faisant écho à la réalité plurielle du travail sexuel et en même temps celle d'un encadrement discursif particulièrement élevé en comparaison à d'autres discours autobiographiques. Cet encadrement consiste en une interférence entre un discours que l'on peut qualifier de subalterne (le discours de prostitué.e.s) et un discours que l'on peut qualifier d'hégémonique (le discours des « expert.e.s » de la prostitution et/ou celui des professionnel.le.s de l'écriture). Cette interférence revêt souvent la forme d'une instrumentalisation discursive à des fins idéologiques qui se manifeste à travers divers mécanismes textuels se situant au niveau de la production, de la médiation et de la circulation des ouvrages en question ; en tant que produits culturels, leur réception entraîne également une production métadiscursive qui complète le processus de cet encadrement. Par ailleurs, cet encadrement vient souvent (ré)alimenter une controverse de longue date au cours de l'évolution des féminismes.
Étant donné que l'objet de ce discours réflexif – la « prostitution » – est une notion socialement circonscrite ayant trait à des réalités plus larges – le corps, le genre, la sexualité – mais non moins socialement construites, c'est notamment sous leur prisme qu'il conviendrait d'examiner les étapes discursives susmentionnées. Ainsi, dans ma communication je propose de présenter les « parcours » d'une partie du corpus de ma thèse qui se compose d'une quarantaine d'ouvrages écrits par des prostitué.e.s et publiés en France et en Grèce entre 1974 et 2014. Cette présentation sera l'occasion d'effectuer les trois tâches suivantes en les jaugeant à l'aune d'une réflexion sur le genre : 1) expliciter les divers procédés d'encadrement discursif dans un contexte éditorial, 2) discuter des résultats d'une enquête sociologique, à base d'entretiens[1], qui d'ici le déroulement du colloque sera sinon achevée du moins considérablement avancée et 3) me pencher sur le discours numérique des travailleur.se.s du sexe dont la lutte pour une autonomie discursive ne fait que s'accroître et montrer comment ce contexte relativement nouveau change remarquablement la donne de l'encadrement discursif dont il est question dans ma recherche.
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[1] Cette enquête se fait auprès des acteurs et actrices de la production-médiation-consommation de mon corpus : auteur.e.s et co-auteur.e.s (plusieurs témoignages sont écrits à quatre mains), éditeurs et éditrices, intermédiaires, illustrateurs et illustratrices, critiques, journalistes et chercheur.e.s.