Mots-clés : Afrique, groupes d'animation culturelle, pouvoir, genre, danses.
Avec l'arrivée au pouvoir d'Omar Bongo en 1967 et l'instauration du monopartisme en mars 1968, le Gabon assista, comme différents autres Etats autoritaires, à la création des dits « groupes d'animations culturels ». Essentiellement composés de femmes, ils oeuvraient pour la diffusion des messages du parti unique et la mise en spectacle de la nation en construction par des performances musicales et dansées. Tandis que les hommes musiciens étaient réquisitionnés dans les orchestres militaires, les femmes étaient en charge de la danse et du chant au sein de ces groupes, structurés autour d'appartenances ethniques communes, et rattachés à l'UFPDG (Union des femmes du Parti démocratique gabonais). S'inspirant de mélodies traditionnelles et de rythmes populaires, ces centaines de femmes de classes sociales et de générations diverses exécutaient en ligne des chorégraphies caractérisées par des déhanchements et des mouvements de rein suggestifs, lors des cérémonies officielles, des meetings, et d'autres spectacles. Performant la nation (Askew, 2006) et le pouvoir masculin, ces groupes constituèrent le site de définition de la femme gabonaise et de son statut dans la société « moderne ». Lors du passage au multipartisme en 1990, ces groupes furent décriés pour l'image de femmes « bougeuses de fesses » qu'ils érigeaient, ainsi que pour leur rattachement au système monopartite ; l'ouverture de nouvelles libertés d'expression conduisit à leur progressif déclin. Certains existent cependant toujours aujourd'hui, et pour une partie de la population, ils représentent un pan à part entière de l'histoire et de la « culture » nationales.
Cette contribution propose d'examiner les modalités de fabrique et de spectacularisation du corps féminin qui furent mis en œuvre au travers de ces groupes d'animation culturelle, la définition de la féminité qu'ils accueillirent, ainsi que les enjeux politiques présents autour de ce genre musical féminin. Je me baserai sur une étude ethnographique et d'anthropologie historique, en mobilisant des archives, des entretiens, ainsi que l'observation des héritages contemporains des groupes d'animation dans les pratiques musicales et dansées de Libreville (réalisée entre 2009 et 2015).
A partir d'une perspective comparative avec d'autres Etats africains ayant également employé cet art de « l'animation culturelle » (Toulabor, 1986, White, 2006, Lwanda, 2008), je mettrai dans un premier temps en évidence comment au Gabon, les groupes d'animation ont été le lieu d'une articulation entre spectacularisation du corps du pouvoir (Tonda, 2005 ; Achin, Dorlin, 2008) et (re)construction des identités genrées par les arts, dans un contexte d'urbanisation et de transformation des structures sociales. Loin de réduire ces artistes aux fonctions d'instruments passifs de la domination, je décrirai les formes de solidarité (ethniques, inter-générationnelles, genrées), les moyens d'ascension sociale et les stratégies qu'elles développaient par le biais de ces groupes, en retraçant les carrières de quelques-unes d'entre elles. Enfin, au-delà du régime autoritaire d'Omar Bongo, et en adoptant cette fois une perspective diachronique, je tâcherai de comprendre comment ces mises en scène du pouvoir masculin par des corps féminins se poursuivent aujourd'hui sous de nouvelles formes dans les scènes de musique urbaine. En décrivant cette incorporation d'une féminité hypersexualisée dans les groupes d'animation, ma contribution mettra finalement en exergue les enjeux politiques qui infléchissent ces performances du genre et des rapports de sexe dans les arts.