Mots clés : minorités, patrimoine, communauté, LGBT, discrimination
Les "minorités sexuelles" sont quasiment absentes, en tous cas rendues invisibles des institutions patrimoniales (musées, bibliothèques, Archives), particulièrement en France.
Le concept même de "patrimoine", qui implique la transmission des biens du père (pater) à ses héritiers, procède d'une logique doublement verticale et normative, a priori peu encline à l'intégration et à l'ouverture de ce qui circule dans les marges.
Ces lacunes témoignent d'une forme de stigmatisation organisée, qui refuse l'existence et la reconnaissance symboliques à des groupes qui pourtant les revendiquent.
Face à ces silences, au sein des communautés LGBT (Lesbiennes, Gaies, Bisexuelles, Trans), la prise de conscience par des militantEs de l'importance de sauvegarder les traces de leurs luttes et de leur histoire a conduit, ponctuellement, à la mise en place de stratégies collectives destinées à "rendre queer" les collections patrimoniales.
En 1978, un groupe d'étudiants et de professeurs de l'Université d'Amsterdam fonde Homodok, devenu International Homo/Lesbian Information center and Archive (IHLIA), un centre d'Archives et de documentation visant à rassembler des matériaux qu'il leur était difficile voire impossible de trouver dans les bibliothèques publiques. Ceux-ci étaient pourtant indispensables pour appuyer la recherche du nouveau champ interdisciplinaire des études gaies et lesbiennes, dont l'Université d'Amsterdam est l'une des pionnières.
En 1984, le directeur du Berlin Museum accepte d'accueillir dans son institution une grande exposition proposée par trois étudiants et relative à l'histoire locale de l'homosexualité. Celle-ci, intitulée Eldorado – the History, Everyday Life and Culture of Homosexual Women and Men 1850 - 1950, rencontre un succès d'estime. Les organisateurs décident l'année suivante de créer une association ayant pour but la mise en place du premier "musée homosexuel", le Schwules Museum.
Ces deux exemples, loin d'être isolés1, renvoient à une forme d'organisation de type « communautaire » : ces institutions documentent l'histoire d'un groupe social particulier ; cette « communauté » participe significativement aux opérations qui constituent la chaine de traitement patrimonial. Autrement dit, ces Archives et ce musée existent par et pour la communauté LGBT.
En France, aucune institution n'est comparable à ces deux exemples. Pas d'institutions communautaires, mais la présence de traces au sein d'Archives associatives, difficiles d'accès et peu ou pas reconnues par les pouvoirs publics (Les Archives Recherches et Cultures Lesbiennes à Paris en sont un exemple). Si ces traces peuvent également se retrouver dans les collections publiques des Musées, Archives ou bibliothèques, elles n'y sont généralement entrées qu'à partir de la fin des années 1990, et selon une trajectoire biaisée et apparemment particulière à la France : la lutte contre le sida. Le cas de la « collecte sida » de l'ancien Musée des Arts et Traditions Populaires en est un exemple éloquent.
L'intervention vise, à partir d'une approche comparative, à apporter quelques éléments de réflexion sur ces décalages européens qui inventent à re-penser des concepts centraux de l'anthropologie, la sociologie et la muséologie : le patrimoine et la communauté.
Il existerait aujourd'hui une cinquantaine de centres d'Archives et de documentation lesbiennes, gaies, bi et trans en Europe et en Amérique du Nord, bien que pour le moment aucune liste officielle n'ait été établie. Le nombre de musées consacrés à ces communautés est nettement plus relatif, puisqu'il n'en existe que deux autres hors de Berlin : le GLBT History Museum de San Francisco et The Unstraight Museum en Suède.