Mots clefs : lecture, genre, trajectoires, émancipation, féminisme
Quels sont les effets de la lecture à l'âge adulte sur la construction du genre, dans le contexte actuel où la critique féministe a irrigué différents types de textes, qu'il s'agisse de littérature, sciences humaines, bandes dessinées ou développement personnel ? Ce contexte qualifié de « métaféministe » par Lori Saint-Martin (1992), invite à penser les reconfigurations du genre par la lecture via différents supports, ainsi qu'après de lectorats diversement socialisés à la lecture et diversement politisés.
Après avoir précisé les différences dans les trajectoires de lecture entre hommes et femmes à l'âge adulte, nous comparerons les cas de lectrices issus de deux enquêtes de terrain : l'une menée par observations et entretiens sur des cercles de lecture lyonnais majoritairement féminins et non politisées ; l'autre effectuée sur des femmes sensibilisées aux questions de genre à Genève. Ces deux terrains sont situés dans les fractions des classes moyennes détenant davantage de capital culturel qu'économique, avec des choix de lecture contrastés sur certains aspects: les lectrices lyonnaises lisent majoritairement des romans et de la littérature alors que les lectrices genevoises mettent en évidence le rôle d'ouvrages moins directement liés à la lecture légitime, tels que les livres de développement personnel et les bandes dessinées, dans le franchissement d'étapes vécues comme des transgressions à l'égard des normes de féminité qui leur ont été inculquées. La comparaison des deux terrains permet de mettre en évidence des trajectoires d'émancipation relative avec le support de la lecture, soulignant ainsi la temporalité de la construction du genre à l'âge adulte. Les socialisations à la lecture par d'autres femmes apparaissent comme particulièrement importantes pour comprendre les trajectoires d'autonomisation à l'égard des hommes et le rôle joué par la lecture dans ces processus.
Dans un premier temps, nous insisterons sur les différences entre les deux terrains, en distinguant les appropriations symboliques et pratiques des lectures, les premières caractérisant davantage les lectrices des cercles de lecture, tandis que les secondes entretiennent le « féminisme pratique » (Achin & Naudier, 2010) des femmes genevoises sensibilisées aux questions de genre. Après avoir souligné ces formes symboliques et pratiques de transgression des normes de féminité, nous montrerons quels sont les ressorts de socialisation qui vont expliquer le choix des lectures puis leurs effets, en insistant sur le rôle des transmissions et des sociabilités féminines tout au long des trajectoires. Nous proposerons des analyses de quelques trajectoires au long de la communication et nous identifierons en conclusion des étapes de ces trajectoires d'émancipation par la lecture, telles que la mise en pratique de l'autonomie (quitter son compagnon, revendiquer son autonomie financière, vouloir devenir écrivaine en connaissant les obstacles à l'écriture pour les femmes, etc.) ; comprendre a posteriori et légitimer des choix en-dehors des normes (assumer d'être célibataire ou de le devenir, de ne pas vouloir d'enfants) ; ou enfin de s'approprier les questions de genre sur le plan collectif (militer dans une association féministe).